Réflexions à propos de la ZAD : une autre histoire

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Un regard en arrière un an après les expulsions

Localizations:

J’ai écrit ce texte au printemps 2019. Il était en anglais, pour un public anglophone, parce qu’il n’y avait presque pas d’information disponible, et j’étais fatiguée de répondre toujours cette même question : «Mais merde, qu’est-ce qu’il s’est passé ?». C’était aussi douloureux d’en parler, il me semblait plus simple d’avoir quelque chose d’écrit et partageable. J’ai été longtemps opposée à sa traduction, car il était simplifié et écrit pour des personnes qui ne comprennent pas le contexte en France ni sur la ZAD. J’aurais écrit quelque chose de très différent en français, avec plus d’analyses sur les rôles des différentes composantes, et des groupes qui ont existé sur la ZAD. J’espérais et j’espère toujours que quelqu’un.e va écrire ce texte. Mais évidemment, d’autres sont toujours en train d’essayer de réécrire l’histoire, je ne devrais pas en être surprise, leur franchise1 dépend de ces mensonges. C’est cette réécriture de l’histoire qui m’as motivé à publier une traduction.

Introduction de Crimethink

À partir des années 1960, des personnes se sont organisées pour bloquer la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes dans l’Ouest de la France. C’est devenu l’occupation connue à travers le monde comme la ZAD - la Zone À Défendre. En janvier 2018, le gouvernement français annonçait que l’aéroport ne serait pas construit ; en Avril et Mai 2018, la police française menait une opération militaire brutale pour y réintroduire le contrôle de l’État. De nos jours, le ZAD n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était.

Comment est-il possible pour l’État français d’écraser cet exemple aussi puissant d’autonomie ? Dans la rétrospective qui suit, une résidente de longue date explore comment les dynamiques internes ont aidé à ouvrir la voie à la répression par l’État. C’est l’une des nombreuses histoires qui pourraient être racontées à propos de la ZAD, mais nous considérons que c’est un document historique important qui pose des questions cruciales sur la façon d’équilibrer autonomie et responsabilité et comment combattre des dynamiques autoritaires qui émergent de l’intérieur. Nous espérons que cela aidera les luttes menées autour du globe de nos jours.

Toile de fond

La ZAD est née de l’opposition locale à un projet imposé d’aéroport en Bretagne, une région de l’Ouest de la France. Depuis sa conception il y a plus de 50 ans, la lutte a grandi et est devenue plus complexe, avec l’arrivée de squatters radicaux en 2007 et la stratégie d’occupation des terres depuis 2009. La ZAD a couvert plus de 1600 hectares, mais le mouvement autour de la ZAD était bien plus grand que ce territoire.

À l’automne 2012, l’État français menait « l’opération César » : six mois de destruction, résistance, et d’occupation militaire pour reprendre le contrôle de la zone. Cela a amener beaucoup d’attention des médias nationaux, du soutien et de la solidarité de l’extérieur, et des possibilités nouvelles. Comme conséquence de l’échec de cette opération, la ZAD était débarrassée de police en uniforme dès Avril 2013. Les participant.e.s avaient déjà mis en place différentes sortes d’infrastructures collectives, de la boulangerie à la radio pirate ou unelegal team ; après 2012 cela s’est intensifié avec un système de soin autonome, de l’agriculture à grande échelle et la distribution toutes les semaines de nourriture produite localement.

En Janvier 2018, le gouvernement français abandonnait officiellementle projet d’aéroport et annonçait qu’il fallait nettoyer la fameuse « routedes chicanes », tout en menaçant d’expulsions pour la fin Mars. Le 9Avril, 2018, la police dans sa version militarisée arrivait pour mettre lamenace à exécution. Dans l’année qui suivit, tout a changé.

ZAD 2010

Je suis arrivée sur la ZAD début 2010 cherchant un endroit pour pouvoir prendre de la drogue dans les bois. J’étais au début de mavingtaine, intéressée dans la radicalité politique mais plutôt investie dans des associations environnementales. À ce moment, il devait yavoir dix ou quinze personnes qui vivaient là, réparties dans quelques maisons. Nous passions beaucoup de temps en réunion à boire du thé avec les voisin.e.s, tout le monde parlant en français (que je ne comprenais pas).

J’attendais des luttes anarchistes quelque chose de plus excitant.

À peu près une semaine plus tard, j’ai eu une longue conversation avec un nouvel ami qui me montra un autre chemin que la politique traditionnelle dans laquelle j’étais investie. Je me plaignais de la frustration que cela provoquait de passer son temps à faire du démarchage téléphonique pour demander à des gens de contacter leurs députés, sachant qu’iels ne le feraient sans doute pas, et quemême si c’était le cas, ces députés ne se souciaient que d’argent et de pouvoir, ce dont notre petite association ne disposait pas. Il répondit que toutes ces lettres allaient directement à la poubelle.

Le gouvernement n’avait pas besoin de les prendre en compte. Il disait que ce que les gens faisaient sur la ZAD, c’était mettre leur vie et leur corps en jeu, contre l’aéroport et le concept d’aménagement et pour l’auto-détermination de la communauté. Iels ne pouvaient donc pas être mis.e.s de côté ou ignoré.e.s. En habitant là, en jardinant là, en faisant du vélo pour aller voire des ami.e.s et boire du thé avec elleux, les occupant.e.s étaient vigilant.e.s en cas de chantier et pouvaient l’interrompre immédiatement peu importe quand il commençait. Les avancées du projet devaient tenir compte des personnes sur place. Habiter là obligeait le gouvernement à s’engager dans le conflit.

Je n’avais jamais entendu parler « d’action directe », mais j’étais convaincue. Cette nuit là, je décidais que je resterais jusqu’au bout.

En 2010, les objectifs étaient de ralentir le projet en utilisant une combinaison de mobilisation, de stratégie légale par des locaux, et de sabotage, et de rendre le projet le plus cher et embarrassant possible. Au lieux d’écrire des lettres, nous allions fermer des bureaux et des conférences. Squatter et apprendre à réparer des vieilles maisons, construire des villages au sommet des arbres et une radio pirate, habiter ensemble et gérer les problèmes collectivement - tout cela était bien plus engageant que de travailler dans un bureaux. En un jour, nous pouvions nous occuper de patates avec des locaux dans un jardin collectif squatté, faire du soutien légal pour sortir quelqu’un.e de prison, et souder une remorque de vélo pour l’usage collectif.

Je me rappelle une conversation sur le toit d’un van à propos de nos espoirs pour la lutte de la ZAD. Un ami d’Angleterre disait, « J’espère que l’état n’annulera pas l’aéroport juste parce qu’il perd au tribunal. J’espère qu’un jour cela devienne impossible politiquement pour eux de le construire, parce qu’il y a tellement de personnes ici qu’ils ne le peuvent simplement pas, même s’ils envoient les militaires ». Nous riions, ce scénario était presque trop ambitieux à imaginer. Constamment impressionnée par l’ingéniosité, la confiance et les ressources des personnes autour de moi, j’avais l’impression que les possibilités de création et de résistance étaient presque sans fin.

Qu’est-il arrivé à la ZAD ?

Il y a beaucoup de confusion dans le monde anglophone sur ce qu’il s’est passé au printemps dernier, et surtout pourquoi des personnes ont choisit de négocier avec l’État et de signer des contrats. Mon intention n’est pas de justifier les décisions qui ont été prises, mais de parler des facteurs qui ont modelé le processus de décision. Les vulnérabilités des anarchistes et des anti-autoritaires ont été utilisées contre elleux par celleux qui sont devenu.e.s de plus en plus réformistes dans leur collaboration avec les groupes citoyennistes. La ZAD offre une étude intéressante sur la façon dont des tendances autoritaires émergent, se développent, et sapent des situations potentiellement révolutionnaires. Comme cela a pris place sur une échelle relativement grande, il est possible d’identifier des schémas qui peuvent être ignorés comme de simples « conflits interpersonnels » dans d’autres cas.

Ce texte tisse ensemble des réflexions personnelles sur ce qu’il s’est passé sur la ZAD avec des analyses des dynamiques au sein de l’occupation et du mouvement anti-aéroport. Mon intention est de tirer des leçons des changements qui sont survenus au cours des plus de 8 ans où j’ai habité là bas et qui ont pris de l’importance pendant les expulsions du printemps 2018. Si nous voulons être rusé.e.s et efficaces dans le futur, cela demande un récit honnête - pas juste la construction d’un mythe ou de propagande. J’espère que ces réflexions pourront ouvrir la voie à plus de critiques pertinentes.

C’est tentant de construire des justifications politiques à des décisions passées ; mais je ne pense pas que nous devrions glorifier le chemin vers la légalisation comme un modèle victorieux que d’autres devraient suivre.

L’État a joué un rôle important dans le renforcement des divisions pré-existantes ; la répression a souvent été dirigée vers des groupes politiques spécifiques afin de monter les gens les un.e.s contre les autres. Ces type de tactiques contre-insurectionnelles sont très simples : se concentrer sur le groupe le plus isolé et convaincre le reste du mouvement que tout.e.s les autres seront épargné.e.s s’iels se dissocient de celleux-ci.

La conséquence est que le groupe le plus isolé éprouve la violence de la répression en même temps qu’il est abandonné par les autres. : un processus qui nourrit l’aigreur et le ressentiment d’un côté, la culpabilité et l’auto-justification de l’autre. Quand l’État se déplace vers la prochaine cible, il y a moins de soutien pour les groupes restants à cause de leur dissociation passée.

La répression et la guerre psychologique ont aussi affecté le processus de décision sur la ZAD. La pression ajoutée a aggravé les tensions politiques pré-existantes. Beaucoup des décisions prises en 2018 étaient basées sur la peur : peur de perdre la ZAD comme base, peur qu’une personne soit tuée par la violence policière intense, peur que les maisons et terres dont nous dépendions soient détruites.

Par exemple, la préfète a publiquement répété que seules les maisons près de la route à l’Est de la ZAD seraient expulsées et elle a étiqueté leurs occupant.e.s de dangereux.ses radicaux.les. C’est arrivé dans le contexte où le mouvement détruisait les maisons sur la route des chicanes (D281), comme un geste de « bonne foi » pour ouvrir les négociations avec l’État, et au moins trois personnalités ont fait des déclarations publiques qu’iels ne soutiendraient ou ne défendraient pas les personnes vivant près de la D281, ni leurs maisons.

Les tensions au sein du mouvement

Avec le temps, les objectifs et priorités des participants ont changé et le but commun devint moins clair. L’objectif du mouvement anti-aéroport était d’arrêter le projet et d’avoir un certain niveau de protection légale pour la ZAD, mais au sein des personnes qui occupaient le territoire, il y avait trop de divisions politiques pour arriver à un objectif commun. Le slogan « contre l’aéroport et son monde » a servi comme un raccourci pratique au début de l’occupation, rendant possible d’exprimer une critique du système en peu de mots. Le « et son monde » était une des bases de l’occupation, bien qu’il puisse signifier des choses différentes selon les personnes.

Les expulsions d’Octobre 2012 n’ont pas juste transformé le paysage en détruisant des maisons et des infrastructures. L’intensité de ces moments, combinée avec le soutien massif et la couverture médiatique ont fondamentalement changé la lutte. Des nouvelles amitiés et alliances ont émergées ; des nouvelles personnes se sont installées, de groupes politiques très organisés à des personnes qui étaient venues pour simplement se battre avec les flics et avoir un endroit où se poser. La population de la ZAD a doublé ou triplé en quelques mois, avec une division entre celleux étiqueté.e.s « intellectuel.le.s bourgeois.e.s » et les autres appelé.e.s « schlags ». Il y eu d’autres nouvelles arrivées, mieux organisées et avec plus de ressources, mais qu’iels gardaient surtout pour elleux dans l’Ouest de la zone, tissant des liens avec les paysan.ne.s. Une fois que l’occupation militaire a cessé et que l’ennemi commun était parti, il y eu beaucoup de conflits internes, principalement autour des rapports de classe. Cela a contribué à ce que beaucoup d’occupant.e.s concentrent leur attention sur l’intérieur, avec comme conséquence moins d’actions et d’attaques. Au même moment, la focalisation de la lutte se tourna vers l’agriculture. Le changement dans la démographie, en même temps que le désir de certain.e.s occupant.e.s à plus de pouvoir et de légitimité, a conduit à viser au démantèlement des groupes existants et à la construction d’un front uni comme objectif politique principal.

Une des choses les plus incroyables à propos de la ZAD après les expulsions de 2012 était la façon dont toutes les identités ont glissées : il y avait des squatters cultivant et des paysans ouvrant des squats. Même les Verts ont ouvert un squat. Pendant cet âge d’or, les personnes prenaient des positions en se basant sur la résolution du problème plutôt que l’allégeance à un groupe.

Plus tard, les gens ont commencé à s’installer dans des positions ; des groupes comme COPAIN, le CMDO, les comités de soutien locaux, et d’autres.

En 2014, un groupe précurseur du CMDO a cherché des leaders de différents groupes locaux et citoyens pour planifier ensemble une manifestation massive à Nantes, avant de la présenter à l’assemblée du mouvement. Un ancien membre explique que c’était la première fois que les groupes citoyens trouvaient des représentant.e.s qui pouvaient leur offrir une prise au sein de l’occupation ; jusque là, l’occupation priorisait l’organisation horizontale, faisant échouer les tentatives de représentation et faisant tourner les rôles dans la relation avec les locaux et les groupes citoyens. C’est ce que les leaders des groupes citoyens avaient cherché depuis longtemps : d’autres leaders avec qui communiquer pour s’organiser « plus efficacement ». Sans ça, iels n’avaient pas plus de prises que quiconque dans l’assemblée du mouvement. Ouvrir des canaux de communication entre leaders de groupes a court-circuité l’aspect ouvert de l’assemblée du mouvement, pavant la voie vers l’émergence d’alliances exclusives. Ces « amitiés stratégiques » ont créé le contexte qui a amené certain.e.s squatters à décider de s’associer avec les paysan.ne.s et les citoyennistes contre les squatters de la route et leurs soutiens en Janvier 2018.

Il y a pléthore de textes dédiés à la critique du CMDO et de leur camarades « appelistes ». Le but n’est pas de se focaliser sur un groupe, qui peut changer de nom et de forme, mais d’apprendre à identifier et confronter les tendances autoritaires d’où qu’elles émergent.

Je les nommerais quand c’est nécessaire pour être claire parce qu’il serait incomplet de les écarter de l’histoire, mais je ne me focaliserais pas ici sur une tendance politique particulière.

« Composition » a souvent été traduit en « coalition » (NdT : dans le monde anglophone). Cela a contribué à la confusion autour des termes. Le mot « coalition » existe aussi en français, définit par le dictionnaire Larousse comme « Alliance militaire et politique conclue entre plusieurs nations contre un adversaire commun ». Il y a une différence entre « coalition » et « composition » : une coalition implique des groupes avec des méthodes et des buts clairement différents faisant une alliance temporaire pour combattre un ennemi commun, alors que la composition décrit des groupes avec des méthodes et buts différents essayant de créer une unité basée sur ce que tout le monde peut accepter.

Dans la pratique « ce que tout le monde peut accepter » signifie souvent la possibilité la moins menaçante - par exemple, faire une manifestation sur la ZAD plutôt qu’à Nantes, où elle pourrait représenter une menace pour les lieux de pouvoir. Toutes les composantes - COPAIN, l’Association des Citoyens Impacté par le Projet d’Aéroport (ACIPA), l’occupation, etc. - de ce fait entrent dans cette composition plus large, mais comme un sous-ensemble de cette unité, de fait subordonnées à celle-ci. Vous pouvez lire une critique plus détaillée de la logique de composition sur la ZAD dans « Quand Lama Fâché, Lama Cracher ! ».1

Il y a toujours eu un aller retour plutôt sain entre les squatters et les citoyennistes au sein du mouvement. En 2011, il y avait une action réussie presque tous les mois ; en 2012, l’ACIPA a organisé plusieurs mobilisations larges avec succès. Comme il arrive souvent quand des personnes différentes s’associent pour combattre un ennemi commun, il y avait des désaccords sur les tactiques, avec des groupes condamnant les actions des uns et des autres dans les médias et des désaccords sur la façon de s’organiser et prendre des décisions.

Début 2014, il y eu une scission quand une manifestation de 60 000 personnes à Nantes, coorganisée par les squatters de la ZAD et d’autres groupes du mouvement tourna à l’émeute. La coord (la « Coordination des opposants » du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une coalition créée en 2003) et l’ACIPA refusèrent de coorganiser des manifestations à Nantes après celle-ci, et il y eu beaucoup de méfiance et de réticence à organiser des évènements en commun qui pourraient devenir confrontationnels et de ce fait perdre le soutien des citoyennistes. Cela a augmenté la fréquence des manifestations sur la ZAD, comme « la Marche des bâtons » en Octobre 2016. Avec le temps, les squatters ont été poussé.e.s encore plus vers les citoyennistes, avec l’aide des réformistes au sein du mouvement d’occupation, qui se présentaient elleux-même comme les représentant.e.s légitimes aux autres composantes et à l’état.

Au fur et à mesure que la logique de la composition gagnait en influence, la dichotomie entre idéal et pragmatisme s’est développée. Durant l’été 2017, un désaccord autour de la création de chemins de randonnée sur la ZAD a illustré clairement ces tensions. Celleux à l’origine de cette proposition, le CMDO, pensaient que les chemins seraient utiles pour amener les gens d’autres composantes à utiliser le territoire de la ZAD plus régulièrement. Les opposant.e.s pensaient que les chemins étaient imposés malgré une opposition et sans trop de discussion, et créaient une relation de spectateurices/spectacle entre les occupant.e.s du territoire et les personnes extérieures. Quand ces personnes ont exprimé leur opposition en assemblée du mouvement, certain.e.s ont répondu : « Nous avons entendu vos inquiétudes, et nous les prendrons en compte autant que possible pendant la mise en place ».

En réponse, quelques opposant.e.s aux chemins de randonnée ont peint un graffiti sur le trajet. Les tags qui sont apparus le jour de la grande ouverture des chemins disaient (en modifiant le slogan « Le tribunal en feu, les juges au milieu »), « Les chemins en feu, les stratèges au milieu ! ». Il a été modifié plus tard pour dire « Les principes en feu, les puristes au milieu ! ». C’était l’une des premières fois qu’une division claire entre « purisme » et « pragmatisme » était nommée de cette façon. Ces tensions - au sein du mouvement et plus particulièrement entre squatters - prirent de l’importance en 2018 pendant les discussions autour des négociations et dans la période précédant les expulsions d’Avril 2018.

Les soit-disant.e.s « éléments idéalistes / puristes / anarchistes / radicaux.les / incontrôlables » étaient confronté.e.saux « pragmatiques / raisonnables / réformistes / stratèges / vendu.e.s ».

De toute évidence, un choix stratégique objectif n’existe pas. Des choix ne sont « stratégiques » qu’en fonction d’une stratégie dirigée vers des buts précis. L’hypothèse sous-jacente du côté des « pragmatiques » étaient que la chose la plus importante étaient de maintenir le contrôle sur les terres et les structures de la ZAD, peu importe le coût et par n’importe quels moyens. Comme cet objectif n’était pas vraiment partagé unanimement, n’importe quelle suposée stratégie collective en partant était vouée à l’échec dès le début. Sans arrêt nous avons entendu pendant les réunions avant les expulsions le mantra « Si nous ne négocions pas et ne signons pas de contrats, nous allons toutperdre ». Le risque de « tout perdre » était mis en opposition a unecohérence politique - genre, « est-ce que tu préfere être SDF, mais avoir raison ? » Ceci est seulement logique si le « tout » est limité aux infrastructures matérielles et physiques.

Celleux étiquetté.e.s puristes dans cette dichotomie étaient les personnes qui tenaient aux idéaux politiques. Cette étiquette a été utilisée contre celleux qui s’opposaient à la coopération avec l’état depuis le début, mais aussi contre des personnes qui étaient profondément impliquées dans les négociations et même des membres de la délégations qui faisaient l’interface avec l’état. Comme il n’y avait pas d’accord sur les objectifs et stratégies, il y avait aussi des dissensions sur les tactiques et les actions stratégiques. L’argument de « purisme » est pratique quand d’autres atteignent leur limite éthique avant vous. Et c’est pratique quand vous cherchez la sympathie des citoyennistes. Iels aiment entendre que celleux qui refusent de vivre en contradiction avec leur éthique sont « peu réalistes » - cela leur donne un alibi pour leur propre hypocrisie.

Les accusations de « purisme » et de « radicalité » ont souvent été utilisé pour disqualifier les positions d’une personne. Parfois même tenir une position politique ou éthique plutôt que « pragmatique » était décrit comme illégitime. Par exemple, pour discuter en réunion des occupant.e.s du retour aux négociations avec l’état une semaine après que les expulsions aient commencé, il fut demander aux personnes opposées de résumer leur opposition aux négociations dans des termes pragmatiques, et non basés sur des positions politiques ou la façon dont elles se sentaient à parler à des représentant.e.s de l’état après les raids. Cela arriva à peine quelques jours après que nous subissions des pertes massives et pendant que nous étions encore sous occupation militaire. Il ne fut pas demandé à celleux en faveur du retour aux négociations de défendre leur position dans ces termes.

Le plus souvent, la plupart des personnes vont considérer l’option la plus simple et conforme aux normes existantes comme la plus « pragmatique ». Tout comme grandissait l’emphase à prioriser la composition avec les groupes citoyennistes, grandissait également la valeur placée dans les normes sociétales et le sentiment de légitimité comme des outils pour aider à construire le mouvement.

À mesure que les squatters évoluaient vers l’affirmation des normes sociales, augmentait aussi l’attente qu’iels seraient prêt.e.s à des compromis, qu’iels seraient capables de maintenir l’ordre en interne, que leurs intérêts étaient ceux de jeunes agriculteurices. Ces attentes irréalistes ont souvent mené à du ressentiment et des désillusions.

Pendant une conférence de presse en Mars 2017, quand un politicien vint faire un speech de campagne dans le lieu d’organisation traditionnel du mouvement, la Vacherit, de la bouse fut jetée sur des voitures de journalistes et sur le bâtiment. Cela a provoqué la colère des citoyennistes, l’ACIPA se mettant en grève et déménageant l’assemblée du mouvement de la Vacherit ; des mois de débats passionnés s’en sont suivis. Pourtant c’était loin d’être la première fois que des politiciens étaient visés de cette façon sur la ZAD. Des personnes ont jeté de la bouse sur le stand public des Verts dès le Camp Climat de 2009, et ont renversé un seau de compost sur la tête du candidat à la présidence Nicolas Hulot pendant qu’il faisait une interview au rassemblement d’été de l’ACIPA. La Coord, l’ACIPA et d’autres composantes étaient choquées parce qu’iels avaient été amené à croire que quelques squatters étaient capables de policer les autres, et que les squatters dans leur ensemble étaient devenu.e.s moins hostiles aux politiciens utilisant la ZAD pour booster leur campagne - malgré tout ce qui était arrivé avant. Comme conséquence partielle de cet épisode, seul deux tracteurs « vigilants » sur les les 450, faisaient des barricades pour s’opposer aux expulsions de 2018, et une poignée seulement vint quelques jours plus tard pour protéger symboliquement les Fosses Noires, une ferme qui avait pourtant bien peu de chance de se faire expulser.

Il y a toujours une tension entre idée et pratique, entre ce que l’on voit comme étant possible et combien nous pouvons repousser les limites, les normes, répandre d’autres possibles. Ce défi est inhérent à habiter dans un monde hostile aux façons dont nous voulons vivre et parfois même à nos existences. Il n’est pas possible ni désirable de rester « pur.e » si nous voulons nous engager contre ce monde. Mais il est extrêmement dangereux de réduire une position politique précisément sur la base que c’est politique et donc « puriste » et invalide. Si nous échangeons nos idéaux par pur pragmatisme, pour quoi exactement nous battons nous ?

Nous en sommes arrivé.e.s là en rêvant, en étant absurdement trop confiant.e.s, en essayant de mettre en pratique nos idées radicales. Une des nombreuses petites morts de la ZAD est arrivée quand les termes « anti-autoritaire » et « radical » ont été utilisé par un groupe dominant pour en délégitimer d’autres au sein de l’occupation. C’était profondément dérangeant à un endroit où une des bases partagées était l’opposition à l’état et l’autorité. Sous la pression des éléments réformistes, des personnes ont cessé de croire que nous pouvions essayer de faire les choses différemment. Alors que la ZAD avait offert à une époque des possibilités sans fin, les compromissions, les restrictions et le ressentiment grandirent au fil des années jusqu’à ce que les personnes soient plus occupées à se battre entre elles qu’à combattre l’état. La ligne du parti de l’unité totale ne pouvait pas être étirée si loin.

La tendance réformiste vers la standardisation interne forcée a aussi été vue dans la dissociation du groupe presse lui-même envers certaines actions.

Fin 2010, quand l’ACIPA se dissocia publiquement d’une action pendant une enquête publique à Notre-Dame-des-Landes, cela a donné lieu à des mois de discussions. Un accord a été trouvé, stipulant que ni les squatters ni l’ACIPA ne se dissocierait publiquement d’autres groupes. La déclaration adoptée était « Nous ne portons pas de masques ni n’utilisons la violence, mais nous ne condamnons pas leurs actions », et cela marcha vraiment bien pendant un bon moment.

Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’occupation de la ZAD, les participant.e.s étaient réticent.e.s et sceptiques à parler aux journalistes. Les journalistes qui ne respectaient pas les conditions posées par les ZADistes avaient parfois leurs pneus crevés, comme lors de la visite d’un juge en 2015. Le fait que le groupe presse (principalement composé par des personnes du CMDO) se dissocient lui et le mouvement des actes de sabotages de la route et des actions contre les journalistes est en contradiction avec l’accord historique et montre combien certain.e.s dans le mouvement étaient allé.e.s loin dans l’acceptation de l’idée que nous pourrions « gagner » en nous poliçant nous-même et en étant respectables, même si cela signifiait rompre un mandat clair de représenter les différents courants qui existaient à la ZAD. Leur version romantisée et incomplète des évènements soutient un agenda politique de conquête du pouvoir au détriment d’un récit utile pour apprendre et s’améliorer.

Quand des personnes parlent de la ZAD, on entend souvent une sorte de propagande qui implique que tout y était exceptionnel ; en fait, nous étions juste des personnes ordinaires dans une situation folle faisant ce que nous pouvions. Bien qu’ils sont fait pour inspirer, je pense que les mythes répandus à propos de l’unité et de l’exception de la ZAD ou des combattant.e.s sans peur qui l’ont défendu créent une perception irréaliste pour d’autres qui voudraient reproduire nos « victoires ». Par exemple, il est inexact de dire que « Les ZADistes ont défendus chaque bâtiment et chaque centimètre de terre par tous les moyens nécessaires », comme dans cet article de CrimethInc. C’est manifestement faux : différents groupes ont défendus leurs propres intérêts et les maisons de leurs ami.e.s et allié.e.s, plusieurs groupes ont écrits des communiqués de presse ou des articles se dissociant des autres, et quand certaines personnes ont réalisé que se rendre aux négociations les transformaient en accessoires ou pions, elles sont parties ou ont arrêté de prendre des risques. Il est vital de comprendre le rôle que cette mythologie a joué dans la façon dont les choses se sont déroulées comme elles l’ont fait. Prétendre que le mouvement a gagné une victoire unilatérale ne rend service à personne.

Une large partie du mouvement avait décidé de négocier et d’accepter la légalisation longtemps avant l’abandon de l’aéroport. Quand cela a été proposé la première foi, c’était conflictuel, mais des personnes (dont la plupart étaient impliquées dans le CMDO) ont continué à pousser cette proposition en assemblée du mouvement, jusqu’à ce que la question ne soit plus « si » mais « comment ». La légalisation devint la seule stratégie, et elle a été poursuivie même quand les circonstances sont devenues complètement différentes du scénario qu’iels avaient imaginé, dans lequel iels auraient posé leurs conditions dans un rapport de force en leur faveur.

Beaucoup de participant.e.s au mouvement s’étaient convaincu.e.s qu’iels pouvaient rencontrer l’état et lui parler en égal. Les négociations étaient la justification majeure donnée pour expulser les chicanes de la route : l’espoir était que si nous faisions un geste de bonne foi et faisions quelque chose que l’état avait demandé, il offrirait d’ouvrir les négociations en retour.

Malheureusement, mais de manière prévisible, nettoyer la route sans garanties de contreparties non seulement augmenta les tensions au sein de la ZAD et ouvrit un espace pour la police pour faire de la surveillance et préparer la conduite des expulsions - mais cela a aussi fait que le mouvement paraissait faible.

L’accord original était de laisser les cabanes sur la route et d’installer des ralentisseurs, mais la préfète fit de nouvelles demandes tous les deux jours jusqu’à ce que la route soit remise dans l’état où elle était avant 2012, exactement comme elle était avant.

Des ZADistes et des paysans locaux bougèrent une cabane au tracteur, seulement pour entendre plus tard qu’elle n’avait pas été bougée assez loin de la route et devait être encore déplacée. Malgré qu’iels aient obéit aux deux demandes, cette habitation fut l’une des premières à être détruite par la police pendant les expulsions.

Cela aurait dû rappeler à tout le monde sur la ZAD de ne pas faire confiance à leur ennemi.

Il y avait des motivations diverses pour négocier, mais pour beaucoup, cela se résumait à la peur que d’autres composantes ou occupant.e.s iraient avec ou sans nous, alors nous devions aussi bien y participer nous aussi collectivement dans l’espoir d’en réduire les conséquences. D’autres considéraient qu’il était important de maintenir le lien avec d’autres composantes. Pour des occupant.e.s de la ZAD, la décision d’entrer en négociation était posée avec beaucoup de conditions. Par exemple, c’était vu comme une façon d’éviter les expulsions, donc si une opération militaire arrivait, cela justifiait de les rompre. Une autre condition était que si des maisons étaient détruites, le mouvement les rebâtirait - tou.te.s ensemble.

À ce moment, pourtant, la façade d’unité était déjà fissurée. Rétrospectivement, c’était une erreur de croire que le mouvement comme un tout pouvait toujours faire des promesses pour le futur.

Les expulsions d’Avril 2018

Sous l’occupation militaire que nous avons vécu pendant plusieurs mois pendant les expulsions du printemps 2018 (NdT: en fait depuis fin Janvier 2018 pour la partie Est de la ZAD), parfois une victoire pouvait simplement être d’éviter d’être bloqué.e.s par la police pour pouvoir faire une réunion à l’heure. Par exemple, il est 7h30 du matin, les tanks arrivent, nous avons donc une fenêtre de deux minutes pour bouger avant qu’ils ne sortent de leurs véhicules et que nous nous retrouvions bloqué.e.s pour la journée. Ça nique votre tête. La semaine après le début des expulsions, le jardin collectif eu une journée très fréquentée de travail pour se remobiliser, évaluer les dommages, et rattraper le retard. C’était chouette de voire autant de personnes et avoir le sentiment de retourner aux activités quotidiennes.

Le jour suivant, je parlais à une docteure nouvellement arrivée, elle partagea son expérience d’être profondément choquée. Elle dit voir des similarités avec l’occupation Nazi en France : un champ rempli de gens travaillant, des tanks garés à l’entrée, des drones au dessus de la tête, et la police militaire avec des armes se tenant comme des surveillants. Une partie de son malaise avec la scène était que cela paraissait normal pour les personnes présentes.

Comme de se rendre à une confrontation sur la route et passer à côté d’une amie en train d’arroser le jardin, équipée de son masque à gaz, ou essayer d’écrire un texte collectif et être interrompue par la nécessité de chasser les flics hors du jardin. « Normal » c’était essayer de vivre la vie de tous les jours dans ces circonstances, travailler pour s’assurer qu’il y aurait une sorte de futur tout en sachant que cela pouvait être interrompu à tout moment par une confrontation.

Une autre chose qui a affecté les décisions étaient que l’occupation perdait du terrain. Un tiers des maisons de la ZAD avaient été détruites dans les premiers jours, toutes dans « l’Est ». L’état s’assurait qu’il était partout avant de repartir. Par exemple les flics se plaignaient dans les journaux du fait que la stratégie qu’ils devaient suivre était dangereuse pour eux, que cela ne faisait aucun sens militairement de rendre tous les soirs le terrain qu’ils avaient conquis pour revenir le lendemain matin à 6h, nettoyer les barricades et reprendre ce terrain. Mais cela faisait partie d’un plan de guerre psychologique pour montrer qu’ils pouvaient venir, le feraient et reprendraient la route tous les matins pendant des semaines.

La police a été excessivement violente, même comparé à d’autres manifestations ou confrontations en France, et surtout comparé aux expulsions de 2012. Le 11 Avril, une marche de plusieurs centaines de familles et retraité.e.s du camps « des cheveux blancs » menée par une samba a essayé de traverser la D281 vers l’Est. La police a tiré sur elleux et chargé en tirant non-stop des grenades de désencerclement. La medic team a noté avoir soigné près de 300 personnes dans les 10 premiers jours, une estimation prudente. Le collectif de medics et soignant.e.s a publié un communiqué affirmant que la violence était si intense qu’il était suprenant que personne ne soit mort.e. Les journalistes était banni.e.s, mais la gendarmerie leur offrit gentiment de leur donner leurs propres vidéos à la place. Les journalistes qui vinrent quand même étaient visé.e.s par les grenades de la police.

Pendant les semaines qui ont précédé les expulsions et même après qu’elles aient commencé, certaines leaders de groupes citoyens et d’autres personnalités qui ont participé au mouvement pendant plus d’une décade se sont publiquement dissocié.e.s. Par exemple, Françoise Verchère, le soir du 8 Avril, déclara dans un journal régional, « J’aurais appelé à manifester contre la destruction du bocage. Mais là, je ne défends pas les habitations près de la route ». Julien Durand, l’auto-désigné porte-parole de l’ACIPA, était cité dans le même article encourageant les squatters de la ZAD à signer les formulaires et essayer d’obtenir des contrats avec l’état sur une base individuelle afin de diminuer les violences et la taille de l’opération de police.

C’était rageant et démoralisant de voire des personnes du mouvement explicitement éviter d’appeler à la défense contre les expulsions, tout en impliquant que celles-ci étaient la faute des ZADistes parce qu’iels n’avaient pas accepté.e.s les demandes de l’état, le jour même où les attaques commençaient. Des communiqués de ce genre ont augmenté le sentiment d’abandon et de trahison ; ils contredisaient les engagements et discours passés, ainsi que l’accord des « 6 points », qui déclarait parmi d’autres choses que tout le monde pourrait rester après l’annulation du projet d’aéroport.

Cette trahison était un exemple classique de la coopération d’une partie du mouvement combinée avec l’intensification de la répression contre une autre partie. La préfète répéta plusieurs fois durant la préparation de la première vague d’expulsions qu’elle n’expulserait que les maisons près de la route. Pendant la seconde vague, les 17-18 Mai, chaque matin le général en charge des opérations publiait une carte des maisons qui seraient visées par la destruction, pour « rassurer ». Et comme il y avait déjà une bonne dose de tension autour de la route des chicanes et avec celleux qui n’avaient pas signé les formulaires, la stratégie de l’état semblait être de compter sur la division pour accroître l’apathie de celleux qui n’étaient pas directement attaqué.e.s.

Une division entre « l’Est », et « l’Ouest » avait commencé à se développer autour de 2013, largement autour de conflits de classe et de relations à l’environnement, mais aussi autour des buts et méthodes d’organisation.

La conception « d’Est » et « d’Ouest » a son origine dans la géographie de la ZAD, mais il serait plus exact de dire qu’il s’agissait de différences d’approches du monde ; par exemple, quelques maisons qui étaient dans la moitié Ouest faisaient évidemment partie de « l’Est ». La partie Ouest de la ZAD était principalement occupée par des personnes qui s’intégraient dans le modèle « fermier.e bio travailleur.e », ou de la classe moyenne mobilisée, alors que beaucoup à l’Est s’identifiaient comme primitivistes ou venaient de la rue. Au moins au début, l’Est était opposé à l’agriculture et aux méthodes centralisées ou formelles d’organisation.

Dès que ces cabanes dans l’Est furent détruites, c’est la zone Est ellemême qui commença à être effacé. Le centre (le territoire entre la D81 et la D281, autour des Fosses Noires), devint la nouvelle frontière est, et le nouveau « centre ZAD » était l’ouest de la D81, des endroits comme la forêt de Rohanne et la Wardine. Dans la suite de la disparition de l’est, tout au long des expulsions les assemblées du mouvement prirent place à Bellevue, à une heure de marche des lignes de front, avec les nouvelles frontières géographiques comme justification. Une région de la ZAD avec moins de pouvoir a servit de bouc émissaire et leur maisons ont été sacrifiées, étant accusé.e.s d’être des « puristes dogmatiques » et isolé.e.s comparé à la participation d’autres aux assemblées générales, dominées par les citoyennistes, et à des évènements destinés à séduire les médias mainstream.

Un récit qui émergea était que « les personnes méritent la répression qu’iels subissent ». Cela arriva de façons diverses, depuis des conflits en assemblée à des attaques physiques. Les tensions grandissant sous la pression, des fractures s’ouvrirent ou s’approfondirent autour de lignes politiques. Un exemple problématique fut lorsqu’une personne supposée avoir saboté la reconstruction de la route fut prise de force de son lit, brutalement battue, et laissée devant un hôpital psychiatrique, comme décrit dans un communiqué de la legal team et cet article dans un journal régional. Quand il arriva en assemblée du mouvement en fauteuil roulant ce soir là, les gens étaient plus ou moins indifférent.e.s.

Cet acte d’intimidation arriva deux semaines avant les expulsions, et eut de nombreuses conséquences. Il contribua à une atmosphère de méfiance et de ressentiment, et eut des effets concrets sur la façon dont les gens étaient prêts à s’engager dans du sabotage pendant les expulsions. Plus généralement, cela montra que certain.e.s était prêt.e.s à imposer leur stratégie qui se basait sur un mouvement uni, discipliné et capable de maintenir l’ordre en interne pour négocier avec l’état.

Des personnes finirent dégoûtées de la présence constante de la police ; espérant que si les autres arrêtaient de se battre avec, les flics partiraient, iels se convainquirent que c’était vrai. En conséquence, iels reprochèrent, moquèrent ou essayèrent d’empêcher les autres de se battre avec les flics ou de creuser dans la route, et leur reprochèrent laprésence de la police. C’était effrayant de voir où des personnes dirigeaient les reproches quand iels avaient peur. Au lieu de soutenir plusieurs lignes d’action, actant le sabotage et la résistance comme utiles en général et augmentant le rapport de force que les ZADistes auraient dans les négociations, des personnes développèrent une logique selon laquelle les personnes qui résistaient avec des moyens autres que ceux généralement acceptés par le mouvement méritaient de subir la répression ou au moins de ne pas être soutenu.e.s.

Par exemple, construire des barricades ou endommager la route ailleurs qu’aux quelques endroits approuvés fut régulièrement dénoncé dans les assemblées générales.

Pour certaines routes, ce la faisait sens de les laisser ouvertes, pour maintenir une évacuation pour les personnes blessées de chaque quartier.

Le plus souvent, cependant, la critique était dirigée sur les actions sur les deux axes Nord-Sud principaux (D81 et D281), dans l’espoir d’éviter d’énerver les personnes de certaines composantes qui étaient fatiguées de la présence militaire constante et des blocages et le reprochaient aux personnes qui étaient engagées dans les sabotages et les confrontations.

La plupart des critiques étaient basées sur l’idée que si le mouvement pouvaient tenir ses promesses de maintien de l’ordre en interne, cela montrerait à l’état qu’il pouvait être des partenaires crédibles pour les négociations. Certains arguments tournaient aussi autour du fait que les sabotages allaient miner le soutien populaire ; à ce moment,beaucoup de décisions était basées sur le fait qu’elles allaient faire perdre ou gagner du soutien. Il semble que beaucoup de personnes ont utilisé cet argument pour donner du poids à leur point de vue, prenant comme garanti que ces « soutiens » hypothétiques allaient nécessairement être d’accord avec elleux.

Il y eu une incertitude grandissante à propos de la raison des divisions entre « le mouvement », « les occupant.e.s », et « les soutiens » pendant que les expulsions se déroulaient. Des personnes vivant sailleurs se virent empêcher d’aller aux assemblées, ou de s’y exprimer après avoir risqué leur vie pendant toute la journée.

Une nouvelle catégorie, les « soutiens », étaient née, comme « ce changement va nous faire gagner plus de soutiens », « cette réunion est fermée aux soutiens mais iels peuvent y assister en silence », « nous vous remercions pour votre soutien, mais… ». Un des principaux arguments pour signer les formulaires et tenter d’obtenir des contrats individuels avec l’état était que cela allait nous amener plus de soutien contre les attaques de l’état, et que « personne n’a de meilleure idée ».

Ces formulaires étaient des déclarations individuelles d’intention d’avoir des contrats agricoles temporaires avec l’état au nom d’une personne, bien que les projets soient intrinsèquement liés. C’était fait dans l’espoir que les citoyennistes verraient que les squatters coopéraient et qu’iels seraient en colère si les expulsions continuaient pour autant. Il était aussi espéré que, si les contrats étaient accordés, cela amènerait une certaine forme de stabilité.

Beaucoup de « soutiens » exprimèrent qu’iels trouvaient ça insultant d’être mis à l’écart de cette façon, leurs différences nivelées, et transformé.e.s en une catégorie uniforme. L’assemblée du mouvement qui suivit la signature des formulaires, qui était dédiée à la planification des actions de masse qui étaient une des conditions pour signer, eu son ordre du jour modifié après une heure et demi parce que la plupart des centaines de personnes présentes étaient venues pour discuter de leur sentiment de colère et de trahison. Beaucoup de personnes ont exprimé pourquoi iels pensaient que signer les formulaires était une idée terrible et affirmaient que cela allait à l’encontre de beaucoup de choses qui avaient été dites auparavant.

Au final, nous avons abandonné le soutien de nos camarades dans une tentative ratée de séduire la Gauche. Mais une fois que nous avons rendu l’état responsable de notre futur sur ce territoire, les citoyennistes ont fait confiance à cet état pour s’en occuper. Alors, nous avons perdu une quantité non négligeable de soutien, incluant certains des plus cruciaux. Nous avons échangé le soutien de camarades pour celui hypothétique des masses, pensant que nos camarades nous soutiendraient peu importe quoi - même s’iels étaient en désaccord, même si nous ne les tenions pas informé.e.s, même s’iels étaient explicitement exclu.e.s du processus de décision.

On peut voire quelques uns de ces points de vue dans la lettre lue par « des soutiens de l’extérieur » à « l’assemblée des usages » (l’assemblée que le CMDO a organisé après avoir quitté la réunion des occupant.e.s) et dans un texte écrit par des camarades de Nantes sur leurs raisons de se mettre en grève:

On a bien noté, qu’il ne s’agissait que de poser les termes de la reprise du dialogue, mais on trouve ça déplacé de se rendre à la préfecture alors que l’occupation militaire continue sur la Zad, qu’une bonne partie des habitations a été rasée et que des camarades dorment en prison.

Notre sentiment est que les négociations menées jusqu’ici, n’ont fait qu’affaiblir le mouvement et ont conduit, entre autres, à ce que le “mouvement” démolisse les cabanes de celles et ceux qui habitaient sur la route sans rien obtenir en échange. Alors on fait grève à partir de 14h30. »

« En grève contre les négociations », un texte de camarades de Nantes.

Depuis les expulsions d’Avril-Mai 2018

Quand la décision a été finalement prise de signer les formulaires individuels, l’accord était que tout était connecté, il y aurait donc des noms sur les formulaires, mais ils seraient liés ensemble ; c’était « tout ou rien ». Cette phrase a été répétée ad nauseam - personne ne signerait individuellement, tout le monde signerait ensemble, et « nous allons nous battre pour ça ». Le piège était identifié - l’idée était de ne pas donner à l’état une autre occasion de créer de la division, de trier entre les « bon.ne.s » et les « mauvais.e.s » squatters et choisir lesquels légitimer. Pourtant, peu après la signature des formulaires individuels le 20 Avril, les projets furent divisés en trois catégories : ceux à qui serait offert un contrat immédiatement, ceux à qui serait probablement offert un contrat à l’automne s’ils modifiaient leur projet, et un troisième groupe à discuter… à un moment dans le futur. Les projets de la première catégorie signèrent des contrats six semaines plus tard, la première semaine de Juin, sans plus de garanties que « l’état dit qu’il contactera tout le monde à un moment ». Ces contrats étaient temporaires, couvraient des projets agricoles mais pas les habitations, et pouvaient être annulés en 48 heures.

La stratégie des négociations a échoué pour plusieurs raisons. L’une d’elle est que les divers groupes de la ZAD et du mouvement ne partageaient pas les mêmes buts. Une fois l’ennemi commun parti – l’aéroport – le projet devint de construire un avenir ensemble.

Mais les personnes avaient des visions très différentes de ce futur. Le conflit commença à s’intensifier le jour suivant l’abandon du projet, avec la question de comment répondre à l’injonction du gouvernement de nettoyer la route des chicanes. Sans le but commun qui tenait le mouvement ensemble pendant si longtemps, il devenait de plus en plus difficile d’élaborer une stratégie commune.

Une autre raison de l’échec des négociations était qu’une partie de la ZAD essaya de pousser des stratégies légales non-consensuelles que d’autres refusaient. Une des conditions adoptées pour initier les négociations était que les ZADistes mettent autant d’efforts à organiser des actions et des manifestations, mais discuter des stratégies légales pris une quantité de temps phénoménale dans les assemblées, occupant l’espace qui aurait pu être utilisé pour organiser des mobilisations. Une fois que les négociations avaient commencé, elles devinrent le principal facteur déterminant quel serait le futur. À ce moment, des moyens extra-légaux ne pouvaient qu’augmenter ou baisser le rapport de force. Intensifier le rapport de force aurait pu augmenter la probabilité d’obtenir de meilleurs conditions de légalisation pour la ZAD, mais comme il devenait clair que beaucoup de personnes étaient fondamentalement opposées à le faire, d’autres ont arrêté de s’engager dans le processus d’organisation. Comme une des « soutiens » l’expliqua :

« Il fallait voire les sourires […] pour comprendre pourquoi tou-te-s les copain-e-s étaient là. Pas pour sauver quelques hectares pour une agriculture durable et solidaire, ni pour peser dans un compromis avec l’État. Nous étions là, nous sommes là, pour essayer de défendre la possibilité de créer nos propres espaces, géographiques et temporels, en dehors du cadre imposé par le Capital et l’État. »

« Comme un étrange sentiment », « Cartes Postales du Dehors ».

Pour certain.e.s, « défendre la ZAD » signifiait un projet unifié et cohérent à construire entre les occupant.e.s productives et certaines parties du mouvement plus large, qui, partageant une volonté de s’intégrer dans une structure légale, étaient capables de travailler ensemble et trouver des buts communs. D’autres voulaient garder une ZAD plus proche de l’endroit diversifié et désorganisé servant de foyer pour des personnes de différents horizons sociaux et avec différentes conceptions politiques, qui travaillaient ensemble à des niveaux multiples mais se tenaient ensemble surtout par le fait d’être voisin.e.s, et à travers les besoins et les affinités. Certain.e.s n’avaient clairement aucun intérêt dans cette dernière approche ; elle fut dûment sacrifiée durant le processus de négociations.

Un position voyait généralement la ZAD comme un terrain de jeu pour vivre et expérimenter des formes d’organisations sociales, rassemblées contre des ennemis communs - le projet d’aéroport, l’état, et Vinci, la multinationale de BTP. La chose la plus importante pour elleux étaient la diversité des moyens de s’organiser et de personnes avec des expériences de vies et des valeurs différentes. Comment pouvions-nous vivre ensemble et prendre soin les un.e.s des autres avec notre bagage, créer des réseaux de partage et de soutien qui soient larges et ouverts, qui ne sont pas limités aux personnes qui ont déjà des ressources et sont toutes d’accord ? C’est ce qui en a fait une communauté si particulière. C’est aussi en partie pourquoi la ZAD a réussi à exister pendant si longtemps : avec autant d’éléments si différents agissant tous différemment mais solidairement, c’était compliqué pour l’état d’intervenir. La légitimité sociale des paysan.ne.s qui pouvaient organiser des blocages avec des tracteurs, le savoir pratique de l’expérience du squatt et de l’action directe qu’on amené les anarchistes, combinés avec les délais des procédures légales initiées par les les groupes de citoyen.ne.s et l’imprédictibilité des punks de la rue - tout cela combiné pour produire une offensive sans cesse changeante difficile pour les autorités à vaincre facilement, ni pacifier ou récupérer. En évoluant vers la fausse unité de la composition, le mouvement est devenu plus uni-dimensionnel et de ce fait plus facile à attaquer.

D’autres étaient motivé.e.s par une lutte modèle, un symbole de résistance, quelque chose qui relie les paysan.ne.s, les intellectuel.le.s, les syndicalistes et les citoyennistes ; un territoire physique avec des infrastructures matérielles qui attestait de la force et du pouvoir de leur mouvement. Dans cette perspective, celleux qui étaient étiqueté.e.s « schlags », ou qui vivaient autour de la route, n’était pas seulement inconséquent.e.s, mais néfastes, parce qu’iels étaient difficile à contrôler et ternissaient l’image de légitimité des ZADistes comme jeunes paysan.ne.s travailleur.se.s.

En regardant en arrière, au vu des conséquences de l’argument que « si nous ne signons pas, nous perdrons tout » - je répondrais que nous avons perdu bien plus en le faisant. J’aimais ma maison, mes jardins, et les projets où j’étais investie. Mais je les aimais à cause du contexte dans lequel ils existaient. Leurs contextes leur donnaient leurs sens ; les projets étaient tissés dans une structure plus grande et faite de groupes interdépendants dans une lutte - d’un système de soin alternatif radical jusqu’à des personnes faisant pousser des grains pour les moudre et faire du pain avec. Tellement de personnes sont parties en colère ou désillusionnées que la plupart des infrastructures collectives ont arrêté de fonctionner ; quand vous passez dans la ZAD de nos jours, les chemins et routes sont désertes. Il n’y a plus de réunion hebdomadaire des occupant.e.s, alors les groupes qu’elle mandatait comme le groupe de résolution des conflits ont cessé d’exister, tandis que le non-marché (la redistribution hebdomadaire de nourriture) se dégrade… Tout cela a drainé la vie hors d’une communauté vibrante, ne laissant derrière que quelques projets agricoles validés par l’état.

Un des moments les plus durs de l’été dernier fut lorsque des personnes vinrent visiter la ZAD pour la première fois et la trouvèrent incroyable. Tant de terres ! Toutes ces petites fermes, et même un ebrasserie (à but lucratif) ! J’étais sciée de voire des personnes excitées par un projet dont il ne restait pourtant que la poussière de son agonie, aggravée par des querelles internes brutales. Plusieurs expériences m’ont aidé à réaliser que beaucoup des personnes qui venaient après les expulsions ne comprenaient pas ce qui avait existé auparavant : les cabanes qui défiaient la gravité et la logique, la solidarité collective à grande échelle, les voitures brûlées sur la route des chicanes avec des fleurs plantées dedans, la fabrication d’une communauté tissée par les interactions quotidiennes, la maison des exilé.e.s et l’école delinguistique, une radio pirate… Pour celleux qui n’avaient pas de comparaison, c’était comme profiter du meilleur gâteau de tous les temps, ne réalisant pas qu’il ne s’agissait que de miettes. Parce que dans le monde dont iels venaient, le monde où nous vivons tou.te.s de nos jours, nous y avons si peu de contrôle sur nos vie qu’il parait incroyable que des personnes arrivent à un minimum d’autonomie et d’organisation pour prendre soin les un.e.s des autres, mettant quotidiennement en pratique les théories radicales.

Le plus récent chapitre des suites furent les deux jours d’opération de police en Mars 2019 - avec bouclage, hélicoptère, etc. - pour expulser toutes les cabanes qui avaient été reconstruites durant les huit derniers mois. Le premier jour, le site web officiel de la ZAD n’a publié qu’une phrase à propos des expulsions, après que la police ait été présente pendant une journée entière : « Aujourd’hui les cabanes reconstruites à Youpi et Lama Fâché ont été détruites par à peu près 30 camions de flics anti-émeutes avec des bulldozers ». Il n’y eut aucun appel à soutien et mobilisation, et la police revint le jour suivant dans un quasi silence médiatique pour détruire les cabanes restantes. Le jour suivant, le site zad.nadir et l’email étaient piratés et redirigeait vers un appel à reconstruction.

Forces et faiblesses

Les principes d’organisation anarchistes peuvent être retournés contre leurs adeptes. Je ne pense pas que ces principes d’organisations soient tous mauvais ; je ne veux pas me tourner vers d’autres qui ne prennent pas en compte les oppressions, par exemple. Mais je pense qu’il est important d’être conscient.e.s de ces pièges pour empêcher des personnes de les utiliser contre nous.

Un de ces pièges est de ne pas avoir créé des espaces pour discuter et prendre des décisions qui soient formalisés, accessibles, et suffisamment efficaces pour remplir le vide de pouvoir qui a suivit les expulsions de 2012.

À ce moment, beaucoup de personnes étaient opposées aux réunions en général ou manquaient d’expérience politique ou sociale pour faire ces réunions (comme suivre un ordre du jour et faire des tours de parole) ; les réunions hebdomadaires des occupant.e.s étaient souvent chaotiques et pouvaient être frustrantes. Les gens ont expérimenté beaucoup de façons de faire, mais aucune n’a vraiment bien fonctionné pour toutes les personnes impliquées. Une structure plus formelle émergea au fil du temps, incluant des rôles comme la facilitation, la prise de notes et un « dictionnaire » (s’asseoir à côté des personnes venant d’arriver pour répondre à leurs questions afin de ne pas interrompre sans arrêt la réunion). Cependant, cela pris des années pour mettre cela en place parce qu’il était peu confortable de l’imposer - étant donné qu’imposer des structures et des rôles paraissait autoritaire. Ne pas avoir d’espace de décision fort et clair voulait dire que d’autres qui n’avaient pas de problèmes à prendre le pouvoir pouvaient y venir et le faire.

Un autre piège était le processus ouvert et inclusif. Pour écrire un texte de la ZAD, par exemple, le processus habituel était de trouver un lieu et une heure, de publier le rendez-vous dans le journal hebdomadaire (zadnews), écrire le texte avec les autres, et chercher à le faire adopter à la réunion des occupant.e.s. Cela pouvait prendre parfois deux ou trois semaines. Le processus était le même pour proposer une manifestation ou un projet, ou pour gérer un conflit.

Cela commençait par l’annoncer publiquement de manière collective, et ensuite discuter ensemble de la forme que cela pourrait prendre. C’est plus complet et inclusif que décider de tout à propos d’une proposition dans un groupe fermé. L’idée était que ce genre de processus ouvert au maximum de personnes peut donc utiliser la plus grande quantité d’intelligence collective et avoir la meilleure chance de représenter la diversité de la ZAD. Mais c’était aussi une processus très lent ; souvent, au moment où les personnes atteignaient un large consensus autour d’une conclusion plus inclusive, d’autres avaient déjà écrit le texte.

Il y a un inconfort légitime à utiliser la logique capitaliste ou d’autres choses auxquelles nous nous opposons, telles que des normes sociales basées sur l’oppression raciste, de classe ou de genre pour gagner du pouvoir ou de la légitimité en utilisant des privilèges, même quand c’est le moyen le plus simple et « pratique » de faire des connections. Par exemple, ne pas refuser d’utiliser la camaraderie masculine pour faire du lien avec les paysans mâles, rend ces relations plus difficile à tisser pour d’autres.

Enfin, une des forces des principes anarchistes qui peut être utilisée comme une faiblesse est la façon dont nous valorisons les rôles de soutien ou mettons beaucoup d’efforts dans la résolution de conflits et l’attention au collectif. Dans certains cas, cela signifiait que nous finissions par nous occuper du relationnel et de l’émotionnel pendant que d’autres prenaient les décisions. En essayent de faciliter que des personnes fassent avec et d’éviter les ruptures, les personnes en position de « neutralité » ont délégitimé la colère de celleux qui étaient marginalisé.e.s.

Il y aura toujours des personnes qui veulent prendre le pouvoir, qui essaieront de tirer avantages de ce qui est perçu comme le point faible de groupes ou de mouvements organisés collectivements. Que devons nous faire par rapport à ça ? Comment éviter d’adopter les méthodes de nos adversaires pour les combattre ? Comment s’organiser pour garder nos pratiques liées à nos théories, de façon à ce que nos pratiques soient notre force ?

Tactiques autoritaires

Quand une tendance agit sans prendre les autres en compte, impose ses décisions au nom de l’urgence, et parle au nom de tou.te.s, cela créé un mécanisme qui ne s’arrêtera pas de lui-même. Voici quelques exemples des activités autoritaires vues sur la ZAD qui peuvent offrir des points de référence utiles pour des personnes s’organisant ailleurs.

Différentes tactiques furent utilisées pour passer outre les structures collectives, menant au développement d’une force politique dominante.

En se concentrant à prendre les rôles qui détiennent le pouvoir, comme la communication, en recrutant d’autres personnes en se basant sur leur position de pouvoir et leur accès aux ressources plutôt que sur l’affinité, le CMDO a construit une base séparée pour discuter entre personnes de différentes parties de l’occupation. Cela a créer un sentiment qu’iel savaient de la légitimité à agir à l’extérieur des espaces d’organisation collective - par exemple, en décidant avec d’autres composantes de faire une manifestation sur la ZAD avant de la proposer à la réunion des occupant.e.s. En même temps iels cultivaient une prétention qu’iels n’existaient pas en tant que groupe politique mais comme un groupe nébuleux « d’ami.e.s » qui introduirait des propositions complètement développées : « quelques un.e.s d’entre nous avons discuté et nous sommes d’accord que c’est une grande idée que… »

Des personnes furent découragées de nommer publiquement ces dynamiques par des attaques personnelles systématiques, par exemple en délégitimant toute personne qui posait des critiques, ou en les appelant des paranoïaques, ou en jouant les victimes tout en esquivant de répondre à ces critiques.

Une fois que leur position dans le mouvement anti-aéroport a été consolidée, il y avait moins besoin de s’associer avec le reste de l’occupation. Le CMDO s’est officiellement retiré des réunions des occupant.e.s dans un texte, citant l’inefficacité et le désintérêt pour les problèmes de la vie quotidienne.

Il devint possible d’imposer des propositions et décider de les poursuivre malgré les oppositions véhémentes. Les lignes ont encore bougé et comme un groupe gagnait du pouvoir, il mettait en place des stratégies qui protégeaient ses intérêts au dépend d’autres personnes. Par exemple, deux jours avant la seconde vagues d’expulsions, un des groupes ayant plus de ressources que n’importe quel autre personne expulsée squatta une maison qu’iels savaient être réservée aux personnes qui perdraient leur habitat pendant la seconde vagued’expulsions. Iels ne communiquèrent même pas préalablement avecles squatters qui vivaient en face. Pendant la seconde vague d’expulsions, je vis des personnes expulsées être renvoyées de la seule maison encore debout dans ce quartier et qui n’était pas encore entièrement nassée. N’avoir plus besoin de la validation de la réunion des occupant.e.s signifiait qu’une personne ayant accès aux emails collectifs de la ZAD pouvait refuser de partager ces codes d’accès, même après qu’il soit décidé en réunion des occupant.e.s que cette personne devrait donner ces codes à au moins une autre personne.

J’ai aussi vu des personnes prendre position comme un bloc pour protéger ses membres de critiques quand bien même d’autres dans le groupe n’était pas d’accord avec ce qu’iels avaient fait. C’est en partie pourquoi ce n’est pas juste une critique d’actions ou de discours individuels : parce que cette approche repose sur la constitution d’un groupe fort, c’est ce groupe qui détient la responsabilité.

Regards en arrière

Comparé à 2010, les choses sont bien différentes de nos jours. L’aéroport est une chose du passé, tout comme « la lutte contre l’aéroport ». Dans l’année passée, la moitié si ce ne sont les deux tiers des personnes qui ont vécues sur la ZAD et l’ont rendue vivante sont parties. Je n’ai pas entendu beaucoup de gens dire qu’iels « voulaient retourner au nomadisme », ou « voulaient simplement vivre ailleurs », comme certain.e.s l’ont suggéré.e. J’imagine que c’est clair maintenant pourquoi iels sont parties.

Mais la division n’est pas entre qui part et qui reste. Les gens ont pu décider de rester ou partir selon les options qui leur étaient disponibles. Là maintenant, je ne peux pas imaginer travailler vers un futur sur ce territoire quand il n’y a plus de sens politique pour moi, et sachant que quoi qu’il arrive, ce ne sera jamais aussi bien que ce que c’était.

Après les expulsions de 2012, les gens parlaient du traumatisme de la violence policière. Alors que les expulsions de 2018 ont été bien plus violentes, ce qu’il reste comme dommage notable est moins le résultat de la répression mais bien une conséquence de ce qui s’est passé entre nous. Le but des expulsions n’était pas tant de détruire les maisons que de détruire la volonté de résister. Il y avait une promesse constante (pour celleux qui n’étaient pas classé.e.s parmi les indésirables) que si nous nous conformions aux normes, que nous nous légalisions, nous pourrions rester. Mais essayer de faire rentrer la complexité de la ZAD dans des boites et des formulaires est un job à temps plein qui continue de nos jours, avec les questions pratiques des négociations qui continuent, de la conformité aux normes d’hygiènes, du paiement de l’électricité, de l’eau, et des taxes, et de trouver comment définir des projets qui étaient créés en opposition à l’état en des termes que cette autorité peut comprendre et accepter.

Comme une personne l’a écrit, « le système s’accomode des rebelles, tant qu’iels ne l’attaquent pas ».

J’ai toujours été sceptique sur l’étiquetage la ZAD comme une « expérimentation sociale », parce que ce n’était pas un camp de vacances ou un think tank pour pratiquer ou jouer pour un jour futur ; nous le vivions et le faisions dans le présent. Mais après coup, je pense que c’était justement sa valeur : partager ce que nous avons essayé et les problèmes que nous avons rencontré, explorer ses succès et ses échecs pour que d’autres luttes en tirent des leçons. J’espère que de sdiscussions plus larges sur ces dynamiques apporteront des perspectives différentes pour un discours post-ZAD et ouvriront la voie vers des récits plus divers.

« Ça valait le coup ? » me demanda un.e ami.e des États-Unis récemment. Oui, ça le valait. Je ne pense pas que j’aurais dit ça il y a un an, mais je suis contente que la ZAD ait existé.

Je ne sais pas si toutes nos luttes seront inévitablement récupérées par des citoyennistes et des autoritaires. J’aimerais penser que ce n’est pas le cas, au moins pour préserver ma santé mentale. Je sais pourtant que pendant ce temps, nous avons fait un tas de choses incroyables - échanger des idées, chercher ce qui était possible, et concrètement rendre la vie de gens un peu meilleure. Il y avait une zone autonome, libre de toute police, pendant plusieurs années, un endroit ou des gens avec des expériences de vies extrêmement différentes ont vécu ensemble et se sont soutenues mutuellement au sein d’infrastructures collectives qui fonctionnaient plutôt bien et une vie quotidienne proche de ce à quoi ressemblerait l’utopie anarchiste plus qu’à tous les endroits où j’ai pu me rendre. Oui ça valait le coup.

  1. « Quand Lama Faché, Lama Cracher ! »,https://nantes.indymedia.org/articles/40835  2